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Channel: Bakchich : Affaires
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Pendant les affaires, le gouvernement légifère

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Sous couvert de patriotisme économique, le pouvoir prépare une loi pour pénaliser la violation du secret des affaires. 

L'annonce est passée inaperçue. Entre le feuilleton du compte suisse de Jérôme Cahuzac, ministre du budget, l'exil fiscal de Gérard Depardieu ou le vaudeville politique de l'UMP,l'entretien donné à L'Expansion par Olivier Buquen- délégué interministériel à l'intelligence économique- n'a provoqué aucune vague.

Pourtant , le titre se veut accrocheur : «La violation du secret des affaires va devenir un délit». Un projet de loi allant dans ce sens sera même présenté au cours du premier semestre 2013 devant le parlement afin de protéger les entreprises françaises des barbouzes étrangères avides de ses secrets. Et là, se pose la délicate question du lien entre une loi criminalisant la violation susdite et le piratage dont peuvent être victimes les sociétés tricolores. De prime abord, le lien peut sembler ténu…. Des lois existent déjà pour protéger particuliers comme entreprises de toute intrusion informatique non désirée, comprendre l'espionnage industriel.

Burquen pour présenter le projet gouvernemental saute lui du coq à l'âne. «Les pouvoirs publics intègrent l'intelligence économique dans leurs réflexions, conscients que sa finalité est de protéger et de développer la compétitivité des entreprises, donc l'emploi. Un projet de loi sur ces questions, piloté par la D2IE à la demande du gouvernement, devrait être présenté au Parlement au premier semestre 2013. Il institue un nouveau délit : la violation du secret des affaires, qui existe depuis 1996 aux Etats-Unis.» Pour sauver l'emploi, bunkerisons l'information et criminalisons la violation du secret des affaires. Le lien entre les deux éléments paraît toujours aussi mince. A moins que… Faire de la violation du secret des affaires un délit n'ait d'autres cibles que les méchantes barbouzes venues de l'étranger, plutôt un ennemi intérieur sournois, sans foi ni loi, le gratte-papier franchouillard que d'aucuns désignent sous le terme de journaliste. 

Un si bel et bon texte, promu qui plus est par un gouvernement de gauche, aurait l'immense avantage d'exclure du champ d'investigation tout un pan de l'économie où rien de pendable ne se passe jamais. Les scribouillards n'auront qu'à fureter ailleurs sous peine de passer sous le coup de la loi. Car que peut recouvrir le secret des affaires? Par exemple le lancement d'une boisson santé par Sanofi, en partenariat avec Coca, au moment même où le géant pharmaceutique licencie? Ou bien les accords entre Mittal et le gouvernement pour enterrer Florange? Voire la gestion de la fortune de Liliane Bettencourt, 1ere fortune de France, patronne de l'Oréal qui mérite bien un peu de discrétion quant à ses affaires. Voilà des lendemains qui chantent…

Ce n'est certes pas la première discrète tentative d'un gouvernement qui, drapé dans le bon sens et le patriotisme économique, s'ingénue à vouloir rogner un chouia la liberté d'informer, quand il serait préférable que les journalistes communiquent.

Fin novembre 1994, le bon juge Alain Marsaud, alors sous casaque RPR et député de fonction, a proposé un projet d'amendement visé à sacraliser le secret de l'instruction. Il sera rejeté avant de revenir par le sénat quelques mois plus tard. Toute atteinte au secret de l'enquête serait punie d'un à deux ans de prison et de 100 à 200 000 francs d'amende.  «La liberté de communiquer n'est nullement menacée par ces propositions» affirme alors le rapporteur de la mission sénatoriale.

«Les sénateurs veulent bien que les journalistes communiquent, pas qu'ils informent», traduit en 1996 Denis Robert dans son livre, pendant les Affaires, les affaires continuent. «L'aveu sénatorial est accablant». Fin 1994, un autre amendement, émanant du groupe socialiste au Sénat voudra encore aller plus loin. « La publication par voie de presse écrite, parlée ou télévisée et, plus généralement, par tout moyen d'informations de pièces, d'extrait ou de citations de pièces couverts par le secret de l'instruction constitue une violation de ce secret. Le moyen d'information et les auteurs sont coupables de violation du secret de l'instruction et sont passibles d'une peine d'emprisonnement de 3 ans et d'une amende de 3 millions de francs».  Depuis 2000, cette violation est punie d'un an d'emprisonnement et 45 000 d'amende, texte voté sous la gauche.... Si la mesure n'a pas découragé les gratte-papiers, elle fait au moins peser un léger poids sur leurs sources.

«Dans cette guérilla entre eux et nous, pronostiquait Denis Robert, plus on les fera suer, plus ils durciront la défense». Un nouveau round s'annonce.


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